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Néandertal vs. Sapiens

Voici un extrait du livre de Stanley Coren «The modern dog» (2008) paru dans l'AKC Gazette (mars 2009) que j'ai traduit et résumé pour le Bulletin du MFEC. C'est un article long mais je l'ai trouvé passionnant !

Pourquoi l'homme de Néandertal ne gouverne-t-il pas le monde ?

Les spécialistes de l'évolution sont souvent perplexes devant le fait que des primates graciles à la face plate, peu poilus et dotés d'une mâchoire peu puissante, que l'on appelle Homo sapiens, soit devenue l'espèce dominante de la planète. Les Néandertaliens, qui étaient les concurrents directs d'Homo sapiens, semblaient mieux adaptés car plus robustes et plus puissants. La réponse à cette énigme réside peut-être dans les relations qu'entretenaient nos ancêtres avec ceux de nos chiens.

Il est courant d'entendre qu'Homo sapiens aurait survécu parce qu'il avait un cerveau plus grand, qu'il fabriquait des outils et avait une organisation sociale qui manquait aux hommes de Néandertal. Pourtant Néandertal aurait été plus adapté que Sapiens dans de nombreux domaines. Par exemple, il avait en réalité un plus gros cerveau que ses voisins et son nez large était plus sensible aux odeurs que le nôtre. Ils étaient intelligents et fabriquaient des outils et des armes, formaient de petites communautés et avaient apparemment des rituels et croyances religieuses car on a retrouvé des tombes néandertaliennes contenant des fleurs, des outils et d'autres possessions personnelles. Il semblerait aussi que les Néandertaliens aient développé une certaine forme de commerce et chassaient en groupes coordonnés.


Avec la période glaciaire, les grandes proies dont se nourrissait principalement les Néandertaliens, se sont faites plus rares. A cette époque, la population de Sapiens était déjà davantage développée que celle de Néandertal. Sapiens semblait donc mieux adapté à son environnement. Comment cette espèce plus faible, avec un cerveau plus petit, y est-elle parvenu ? Pour répondre à cette question, nous devons avoir une meilleure compréhension de la façon dont l'évolution fonctionne.

La plupart des gens pensent que les espèces évoluent en développant des caractéristiques qui leur permettent de mieux s'adapter à leur environnement, et si ces caractéristiques utiles peuvent être transmises par leurs gênes, alors la survie de l'espèce est facilitée. Il faut pourtant considérer deux aspects. Tout d'abord, il y a le génotype de l'individu, c'est-à-dire sa composition génétique. Ensuite il y a son phénotype, c'est-à-dire l'ensemble des traits observables. C'est la différence entre les gênes dont un individu hérite et ce que ces gênes vont réellement influencer chez un individu dans un environnement spécifique.

Lorsque les animaux vivent en association, leur communauté agit comme si elle avait son propre phénotype. Le phénotype de cette communauté est l'ensemble de ses attributs. La sélection naturelle agit sur les phénotypes puisque ce sont les caractéristiques qui affectent la survie. En théorie, cela signifie que lorsque deux espèces vivent ensemble, il est possible que la communauté évolue, et toutes les espèces vivant dans cette communauté peuvent entamer un processus de coévolution.

Richard Dawkins, biologiste britannique, théoricien de l'évolution, a suggéré que l'évolution peut agir sur le phénotype étendu d'une communauté de manière à préserver tous les comportements de ses membres qui augmentent les chances de survie du groupe, que les individus soient de la même espèce ou pas. Si le phénotype de la communauté dépend des comportements et caractéristiques que certains individus peuvent transmettre génétiquement, alors la communauté dans son ensemble peut évoluer par sélection naturelle de la même manière qu'une espèce donnée. De plus, ce processus d'évolution peut survenir sans volonté délibérée des membres de la communauté. Ce serait grâce à un tel processus que les chiens auraient joué leur rôle dans l'évolution de l'homme.

Avec la disparition du gros gibier, des groupes d'Homo sapiens tentèrent de nouvelles stratégies. Ils formèrent des campements relativement sédentaires, où les individus pouvaient partager différentes tâches, comme la cueillette, activité qui mènera plus tard à une forme primitive d'agriculture. L'établissement de ces zones d'habitat engendra des déchets qui attirèrent bien entendu des éboueurs opportunistes : des souris et des rats, mais aussi des loups et des chacals, précurseurs du chien.

De nos jours, rien n'a changé. Des chercheurs ont prouvé qu'en Italie les dépôts d'ordures constituent la principale source de nourriture des loups des environs et des chiens errants. Raymond Coppinger raconte qu'un chercheur avait braqué un projecteur dans une décharge à 2 heures du matin pour y découvrir un loup la gueule pleine de spaghetti.

Les canidés qui vivaient à proximité des premiers campements humains commencèrent, à distance, à faire partie de cette communauté d'Homo sapiens. Ces grands-parents du chien moderne avaient une meilleure olfaction et une meilleure ouïe qu'Homo sapiens. Cela transforma ces éboueurs en système d'alarme efficace puisqu'ils pouvaient mieux détecter les personnes ou animaux hostiles que les éventuelles sentinelles humaines. Leurs aboiements servaient d'avertissement et permettaient aux habitants de survivre aux raids de concurrents qui, eux, n'avaient pas de chiens.

Si nous adoptons le concept de phénotype étendu, humains et chiens voisins font maintenant partie d'une communauté qui évolue. En d'autres termes, chiens et humains ont conclu un contrat évolutionniste. Dans les campements abritant des chiens, les humains avaient une meilleure espérance de vie car les chiens servaient de sentinelles. Les humains pouvaient alors se consacrer à l'organisation de leur campement pour résister aux attaques et créer des armes et des outils. Les humains n'avaient pas besoin d'être toujours sur le qui-vive, ils pouvaient donc dormir davantage, ce qui améliora leur santé et leurs capacités intellectuelles. Ce campement plus efficace devint à son tour une source plus fiable de nourriture pour les charognards, y compris pour ceux qui deviendront un jour les chiens domestiques. Par ailleurs, à chaque fois que les humains se rassemblaient au son de l'alarme canine qui indiquait la présence d'un prédateur, ils ne protégeaient pas seulement leurs compagnons humains mais aussi leurs compagnons canins. Les chiens ont augmenté leur propre espérance de vie en développant des comportements qui les rendaient indispensables aux yeux de leurs associés humains.

Un fossile vieux de 14000 ans, retrouvé à proximité d'un campement humain, montre qu'à cette période le loup avait déjà évolué vers le chien. Cependant aucune preuve de la présence de chiens n'a été retrouvée près des sites néandertaliens.

A peu près au même moment, l'armement humain connut un développement important, à savoir l'apparition de flèches avec des pointes en pierre taillée. Cette arme procurait davantage de sécurité en permettant au chasseur de rester à distance de sa proie. La plupart des grands gibiers avaient disparu mais une flèche adroite permettait la chasse fructueuse de proies plus modestes.

Le problème des flèches c'est qu'elles blessent plus qu'elles ne tuent. Cela permettait au chasseur de s'approcher de l'animal pour l'achever mais malheureusement les animaux blessés pouvaient s'enfuir assez loin. Il fallait alors poursuivre ces proies, parfois sur de longues distances avant de pouvoir les immobiliser pour les achever. De plus, la piste d'un animal est facilement perdue dans une région rocailleuse ou dans les fourrés. Heureusement, les chiens sont les rois du pistage. Certains scientifiques pensent que, sans l'assistance du chien, la chasse à l'arc n'aurait jamais été fructueuse.

Les avantages procurés par les chiens de garde et de chasse auraient pu être suffisants pour assurer aux premiers humains la supériorité nécessaire pour survivre aux Néandertaliens. Mais la cohabitation des humains avec les chiens a peut-être eu un avantage évolutionniste plus subtil mais aussi plus important. David Paxton, de l'Australian National University, a proposé une théorie spéculative et controversée de ce qu'aurait pu être le développement évolutionniste final qui garantit la survie d'Homo sapiens comme l'espèce dominante sur Terre.

Paxton commence avec l'idée que les humains et les chiens ont coévolué. Parce que les humains avaient une tête plus petite que les Néandertaliens, ils n'avaient pas besoin de muscles importants au niveau du cou, ce qui libéra de l'espace pour le développement de cordes vocales et d'autres structures permettant l'émission de sons précis. Puisque la mâchoire n'était plus un outil ou une arme, il était possible de développer des muscles faciaux et des lèvres plus flexibles, une combinaison qui permettait une meilleure capacité de communication à l'aide d'un large éventail d'expressions faciales, et plus important encore, par le contrôle conscient des sons qui conduira au développement du langage.

L'apparition de capacités de communication plus complexes permit des interactions sociales plus efficaces, des activités de groupes mieux coordonnées et la transmission d'informations utiles qui, ensemble, auraient grandement amélioré les chances de survie.

Si l'apparition de meilleures capacités de communication fit partie de la coévolution des humains et des chiens, comme le suggère Paxton, alors les chiens doivent aussi avoir évolué de manière à profiter de la communication humaine. Brian Hare, de l'Université d'Harvard, étudie les compétences cognitives et de communication de différentes espèces d'animaux et a observé que les chiens sont supérieurs à tous les autres animaux lorsqu'il s'agit de collecter des signaux de communication humaine non verbale, comme pointer du doigt ou les expressions faciales. Ces capacités sont présentes chez les chiots, qu'ils aient été habitués à côtoyer des humains ou pas. En comparaison, les loups ne montrent pas un tel talent, même s'ils ont vécu avec des humains toute leur vie. Cela indique que répondre à des signaux humains est un trait héréditaire du chien qui a pu émerger du fait de la coévolution humains-chiens.

Si nous prenons en compte toutes ces influences, il est facile d'obtenir un scénario qui expliquerait comment la communauté des humains et des chiens a remporté la planète face aux Néandertaliens. Les humains auraient été en meilleure santé car la chasse avec les chiens était plus efficace. Bien nourris, ils auraient été moins touchés par les maladies et leurs campements aurait abrité davantage d'individus. En ayant perdu le gros gibier dont ils dépendaient, les Néandertaliens ont peut-être été conduit à faire des raids sur ces communautés humaines pour s'approvisionner mais leurs attaques auraient été déjouées par les avertissements des chiens de la communauté, ce qui aurait permis à Homo sapiens d'opposer une résistance.

Grâce à leurs capacités de communication accrues, ils ont peut-être organisé des contre-attaques envers leurs voisins qui faiblissaient à cause de la faim. L'absence de chiens autour des campements néandertaliens favorisait les attaques surprises. Un tel schéma peut facilement avoir conduit l'homme de Néandertal à l'extinction.

Si cette conjecture scientifique est exacte, alors qu'il apparaît que les humains ont contrôlé l'évolution du chien, les chiens semblent avoir joué un rôle majeur dans l'évolution des humains. En fait, les chiens ont décidé quelle espèce d'hominidés contrôlerait ce monde, et les Néandertaliens ont perdu.

février 2010